Archives de catégorie : Romans, nouvelles, etc.

Performance au sommet

Le Grand Jeu, Céline Minard, Rivages, 2016

« Rhizikon » (2009), spectacle conçu et dansé par la chorégraphe et trapéziste Chloé Moglia

Alors qu’autour de moi, les louanges fusaient sur ce roman de Céline Minard, je n’avais pas réussi à lire Faillir être flingué (Rivages, 2013). Je vais réessayer, forte de ce que vient de me faire Le Grand Jeu. Aidée par une petite équipe héliportée, une femme installe une cabine hightech sur une paroi granitique au-dessus du vide. Elle a acheté la terre montagneuse de 200 hectares sur laquelle est implantée sa nouvelle demeure et planifié une vie en complète autarcie. Robinson survécut sur l’île grâce à ce qu’il récupéra dans l’épave et ce qu’il construisit avec ingéniosité. Ici, la femme choisit cet îlot d’altitude pour une expérience organisée par avance. Vivre hors jeu.

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Le grand saut de l’adolescence

Corniche Kennedy, Maylis de Kerangal, Gallimard / Verticales, 2008

© Claudine Doury, photographe qui ne cesse de questionner cet entre-deux de l'âge qu'est l'adolescence
© Claudine Doury, photographe qui ne cesse de questionner cet entre-deux de l’âge qu’est l’adolescence

Comment dire l’adolescence en littérature ? De nombreux romans ont exploré une part de cette période chaotique et initiatique. La fuite rebelle (L’attrape-cœur, J.D. Sallinger, 1951), l’insouciance dissolue (Bonjour tristesse, F. Sagan, 1954), la noirceur illuminée (Le Cahier noir, O. Py), la découverte de l’amour (L’amant, M. Duras, 1984), de la sexualité (A moi seul bien des personnages, J. Irving ou Mémoire de fille, A. Ernaux), les troubles profonds (D. de Vigan, Jours sans faim, 2001) ou les extrêmes déviances (Les exclus, E. Jelinek, 2002). Continuer la lecture de Le grand saut de l’adolescence

Une vie à géométrie variable

Le triangle d’hiver, Julia Deck, Minuit, 2014

Arielle Dombasle dans le rôle de Bérénice Beaurivage
Arielle Dombasle dans le rôle de Bérénice Beaurivage

Rêver ou vivre sa vie ? Les deux s’opposent-ils vraiment ? Mademoiselle, jeune femme au chômage, personnage principal du deuxième roman de Julia Deck, Le triangle d’hiver, rêve qu’elle est Bérénice Beaurivage. C’est le nom d’une romancière qui n’écrit jamais dans le film d’Éric Rohmer, L’arbre, le maire et la médiathèque (1992). Physiquement, Mademoiselle a quelque chose d’Arielle Dombasle qui joua le rôle et romancière, ça paraît moins ennuyeux que de nombreux métiers suggérés par l’agence pour l’emploi. Continuer la lecture de Une vie à géométrie variable

Masculin Féminin

À moi seul bien des personnages, John Irving, traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun et Olivier Grenot, Le Seuil, 2013

Hermaphrodite endormi, IIe s. av. J.C., Palazzo Massimo, Rome
Hermaphrodite endormi, IIe s. av. J.C., Palazzo Massimo, Rome

Le titre est déjà une belle invitation. John Irving a puisé à la source. Richard II, Shakespeare. Je joue donc à moi seul bien des personnages / Dont nul n’est satisfait. Invitation au théâtre, au jeu des personnages et aux questions qu’ils tirent avec eux, l’identité, le jeu intime et social entre les êtres, le désir, la frustration et la représentation de tout cela par l’écriture.

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Mais qui peut bien s’intéresser au Biafra ?

L’autre moitié du soleil, Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l’anglais (Nigeria) par Mona de Pracontal, Gallimard, 2008

Drapeau de l'éphémère Biafra (1967-70)
Drapeau de l’éphémère Biafra (1967-70)

Chimamanda Ngozi Adichie aime rappeler les nombreux refus essuyés lors de l’envoi de son premier manuscrit aux agents littéraires. Mais qui pouvait bien s’intéresser au Nigeria ? L’hibiscus pourpre finalement paru en 2003 a été suivi de deux autres romans et d’un recueil de nouvelles. Ces textes ont été traduits en plus de trente langues et le dernier roman (Americanah, Gallimard, 2015) a consacré l’auteur nigériane.

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Tragédie forestière

Et quelquefois j’ai comme une grande idée, Ken Kesey, traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Cazé, Monsieur Toussaint Louverture, 2015

ken keseyD’abord, parler de l’objet. Très beau, avec de l’esprit, du soin, de la conviction, de la culture. La jaquette de couverture est ornée de motifs constructivistes évoquant la forêt, décor du roman. En quatrième de couverture, à côté du prix du livre, un merci délicatement imprimé. A l’intérieur, la dernière page pourrait être utilisée comme support de formation dans l’édition. Elle détaille les papiers, typographies, encres, dimensions de l’ouvrage ainsi que le Continuer la lecture de Tragédie forestière

La dernière gorgée de bière

Ce que j’appelle oubli, Laurent Mauvignier, Minuit, 2011

O coyette ce quej'appelle oubli

Je poursuis l’exploration littéraire en terre avignonnaise. J’avais lu mais… oublié ce texte. Il m’est progressivement revenu en mémoire sous le chapiteau du Théâtre des Halles où il est représenté dans le Off du festival. Je m’installe au premier rang dans l’obscurité heureusement ventilée. Près de moi, un homme replié sur lui-même, un peu gros, me paraît trop vêtu pour les 38° affichés à l’extérieur. Le noir se

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Lumineuse exploration du noir

Trop de bonheur, Alice Munro, traduit de l’anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, L’Olivier, 2013

P. Soulages, vitraux de l'abbaye de Conques (Aveyron)
P. Soulages, vitraux de l’abbaye de Conques (Aveyron)

J’entretiens avec la nouvelle un rapport compliqué. Elle m’attire pour son côté elliptique, parfois violent, mystérieux, intense, ramassé, ouvert mais elle me frustre aussi terriblement. Ne cheminant pas assez longtemps dans la lecture, je n’en sens pas Continuer la lecture de Lumineuse exploration du noir

La frustration à l’œuvre

Histoire réversible, Lydia Davis, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anna Rabinovitvch, Christian Bourgois, 2016

R. Magritte, La décalcomanie, 1966
R. Magritte, La décalcomanie, 1966

Le titre du dernier recueil de nouvelles de Lydia Davis, Histoire réversible, dit déjà le double sens, le jeu de l’endroit et de l’envers. Quelque chose que l’on croit à la première lecture et finalement non, peut-être pas, cela coulisse et c’est autre chose, comme un double-fond, une Continuer la lecture de La frustration à l’œuvre

Porteurs du feu

La route, Cormac McCarthy, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch, Éditions de l’Olivier, 2008
Sans titre, Jérôme Mitonneau, craie et paraffine, 2003

Ils sont deux. L’homme et l’enfant. Le père et le fils. Ils marchent sur la route. Tout est dévasté. Pluie de cendre, forêts brûlées. Sol, ciel, air, tout est gris. La Terre a subi une terrible catastrophe. Plus de vie hors quelques êtres en quête de nourriture, d’un abri, d’un peu de chaleur. Je viens de relire La route. Je me souviens très bien de la

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