Ôde au noir de l’adolescence

Olivier Py, Le Cahier noir, Actes sud, 2015

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Olivier Py a beaucoup écrit, monté, dirigé, pourtant je ne l’avais pas vraiment remarqué. Je passais à côté. Je n’avais vu qu’une de ses pièces, Adagio (Mitterrand, Le secret et la mort) en 2011. Nicolas Sarkozy était alors président de la République et j’avais senti dans la salle, à la fin, lors des applaudissements chauds, longs, une sorte de soulagement du public. Oui, un autre homme avait occupé cette fonction-là, oui, il lisait des livres, beaucoup, oui, il parlait une belle langue. Ce retour dans le passé provoqué par la pièce faisait du bien, on se souvenait. Sinon, pas d’autres lectures ou pièces vues. Et puis, je découvre que nous avons deux points communs. Une année et une ville de naissance. 1965 et Grasse. Pas grand-chose, le hasard. C’est pourtant ça qui m’a donné envie de lire Le (très beau) Cahier noir.

J’ai d’abord aimé l’objet, un livre avec un poids, un format de carnet, couverture à rabats, carton légèrement granuleux, noir mat, dessin (surfaces et contours blancs) d’un homme debout torse nu, cravache à la main, masque d’animal à cornes cachant sa tête, Le cahier noir en blanc, les autres mots (Olivier Py, roman illustré et Actes Sud) en rose métallisé. La quatrième de couverture indique que c’est son premier roman, écrit à l’âge de 17 ans, celui d’un jeune provincial qui découvre sa sexualité et sa soif d’absolu.

Je n’en demande pas plus. Je prends.

Je passe la préface (j’aime bien les lire après, je n’aime pas qu’on me présente les choses dont j’ai déjà envie) et commence. La première page me fait sourire. Je suis en terrain connu. Au milieu de la page blanche, le dessin simplifié du blason de notre ville natale. Un agneau pascal, portant une longue croix à laquelle est attaché un étendard. C’est ainsi que le présente le site de la ville. Je regarde la signification de l’agneau dans un autre article sur les blasons et je lis docilité, pureté. Au-dessus de son dessin, Olivier Py a écrit Grâce ! et au-dessous Grasse. Ça me plait. Je n’ai pas beaucoup aimé cette ville (j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 17 ans) et j’aurais pu, au même âge que lui, faire mienne l’exclamation pyenne.

J’ouvre le livre, je regarde les dessins d’Olivier Py. Alternance du texte d’origine lisible dans une typographie à empattements choisie par l’éditeur et de pages du journal lui-même, sur lesquelles figurent des dessins seuls et des dessins jouxtant ou couvrant l’écriture manuscrite de l’adolescent (en capitales, presque une typographie). Des hommes nus, sexe en érection, souvent, visages de morts, crânes, couteau, moto, chien, serpent, sodomie, comme des images de rêves noirs. C’est beau, c’est fort, c’est un concentré d’adolescence. Toute l’intensité d’un garçon de 17 ans obsédé par sa virginité, qui sait son homosexualité, aime faire couler son sang, cherche l’humiliation comme une jouissance extrême, veut tout érotiser, veut assassiner l’enfant. C’est brut, sans détour.

Déjà, Olivier Py met en scène, ses désirs, ses obsessions, ses colères, ce qui l’embrase. La sous-préfecture sans grâce devient espace dramaturgique avec ses figures d’hommes, ses objets, ses rituels. Dans une langue dure, crue, lyrique, l’adolescent chemine, avide d’avilissements et de spiritualité pour sortir de sa virginité-prison.

Près du monument aux morts, face à la statue du soldat, il prie un dieu terrible qui pourrait déchirer l’ennui de sa ville, il lèche les bottes oxydées du sacrifié de 14, il s’agenouille devant les chaînes noires, les obus qui ressemblent à des étrons, et l’odeur de pisse. Puis la figure de Pierre se superpose à celle du soldat oxydé. Réparateur de motos aux ongles noirs, Pierre est transformé en chevalier noir de mélodrame, avec ses chemises en velours rouge sang sous son armure de motard. Véritable idole de l’adolescent qui fantasme, sans jamais le dire, son désir d’humiliation par le beau guerrier. Dans le tunnel, il rencontre François, Sa majesté le prince en cravate. Un pas de plus. Avec lui, cela commence ainsi : Tu veux boire mon sperme ou ma pisse ? Les deux, monsieur, répond Olivier. Un autre jour, conclut François. Enfin, l’ange fait son entrée. L’adolescent pénètre dans son appartement blanc à moulures, prêt à toutes les soumissions. Le maître se refuse, lui ordonne de jouir, ce qu’il fait lorsque l’ange reparaît après l’avoir laissé seul un instant.

En partie témoin des obsessions d’Olivier, son ami Lucas, comme lui, élève de première, fait figure de contre-point. Il questionne (Pourquoi tu fais ça ? quand le sang coule sur le bras d’Olivier, Tu n’en as pas marre de m’humilier intellectuellement ?), il se moque (Tu es un indécrottable romantique, tu te crois le centre du monde), fait preuve de tendresse aussi. Une tendresse que refuse bien sûr Olivier, trop simple, presque abjecte.

Ce Cahier noir me fait penser à Pompéi, récemment revisitée. Tout s’y est figé au Ier siècle, puis a été protégé par une couche de sédiments volcaniques et mis à jour au XVIIe siècle. Le cahier noir a quelque chose de l’aventure pompéienne. A l’échelle d’une vie. L’adolescence, époque lointaine oubliée, parfois rejetée quand on est adulte, est là, déployée au grand soleil, intouchée, brute, impure et indocile, bien loin du blason grassois…

Je viens de lire la préface. Quelque chose qui s’en approche… Je savais qu’il y avait là le témoignage d’une époque que je voulais oublier mais aussi l’origine de tout ce qui me construirait, la source de tous les désirs, écrit l’actuel directeur du festival d’Avignon. J’ai été sidéré de retrouver, intacte, une vérité que j’avais enfouie. Une vérité magnifiquement rendue par cet objet-livre dont les qualités d’édition restituent la sincérité, la force, l’émotion.

Né en 1965, auteur ou traducteur d’une quinzaine de pièces de théâtre, de romans et nouvelles, Olivier Py a dirigé plusieurs théâtres nationaux (Centre dramatique national d’Orléans, Théâtre national de l’Odéon). Depuis 2013, il dirige le Festival d’Avignon.

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