Archives par mot-clé : barthes

N comme nom

Passeport de fiction

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Onomastique. Un drôle de mot dans lequel j’entends la contraction sonore d’onanisme et de plastique. Mastiquer des noms propres, en faire l’étude, leur forme, leur choix. Dans un roman, les noms propres sont comme de petites giclées de vie, d’évocations, d’émotions. Passeport vers la fiction, le nom propre ouvre un voyage au lecteur. Du côté de Guermantes au rivage des Syrtes, on galope avec Emma Bovary, on part en quête de Moby Dick. Et pour celui qui prend pseudonyme, le nom est passeport vers l’écriture. Les exemples abondent, du besoin de distinguer deux identités (Marguerite de Crayencour devenue Yourcenar par la grâce de l’anagramme) à celui de cacher, jouer avec elles (Gary/Ajar, faces d’une même pièce, la ribambelle d’hétéronymes d’Antoine Volodine). De quoi le nom est-il le nom ? Virée en terre onomastique avec N comme NOM.

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D comme disparition

La littérature a horreur du vide

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Georges Perec a écrit plus de 300 pages sans utiliser la lettre E. La disparition (1969) fut une audacieuse expérience littéraire, il y assouvissait, jusqu’à plus soif, un instinct aussi constant qu’infantin (ou qu’infantil) : son goût, son amour, sa passion pour l’accumulation, pour la saturation, pour l’imitation, pour la citation, pour la traduction, pour l’automatisation. De la privation, G. Perec fabrique du trop-plein. Soustrayant, il multiplie. Dans un polar aussi, la disparition d’une personne, d’un objet crée du plein, une enquête, une narration, un livre. Disparition et création, deux faces d’une même monnaie ? Examen de l’hypothèse dans D comme DISPARITION.

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C comme cliché

Paria de la littérature ?

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe et il est si agréable et si naturel à l’Homme de se nourrir du jardin qu’il n’a ni bêché, ni semé, ni planté. Pour Rémy de Gourmont, auteur prolifique du XIXe siècle, le cliché est ce fruit, tentant et défendu en littérature. Il y consacre un chapitre de son Esthétique de la langue française (1899). Au-delà du cliché du cliché-paria-de-la-littérature, il y a dans cette forme quelque chose d’incertain, de sournois, de relatif et même d’explosif. Lumière sur une bête réputée noire (ex-æquo avec la-page-blanche) de l’écrivain : C comme CLICHÉ.

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Derniers feux du fleuve-Barthes

La préparation du roman, Roland Barthes, cours au Collège de France (1978-1980), Le Seuil, 2015

barthes

Je n’ai compris que récemment ce qui me plaisait tant chez Roland Barthes. Il expose avec une belle clarté (sans peur des mots rares, et la sémiologie en compte quelques-uns) et s’expose d’un même jet. Il énonce une pensée érudite, argumentée, fine et n’oublie pas qu’il est le sujet de son énonciation, un être sensible qui s’explore aussi en parlant. Je l’ai compris avec La préparation du roman, retranscription des cours qu’il donna au Collège de France entre 1978 et 1980, année de sa mort. Regret de ne pas avoir été dans l’amphithéâtre.

Encore…

Miraculeuse conversation !

La conférence de Cintegabelle, Lydie Salvayre, Seuil / Verticales, 1999

G. Braque, L'oiseau noir et l'oiseau blanc, 1960
G. Braque, L’oiseau noir et l’oiseau blanc, 1960

L’an dernier, j’ai passé plusieurs semaines avec Lydie Salvayre, avec l’auteur, j’ai lu presque tous ses livres, les uns après les autres, tellement je fus séduite par le premier de la liste. Il se trouvait déjà dans notre bibliothèque. Marc inscrit toujours dans ses livres ses prénom, nom, le mois et l’année de lecture. Il a une autre manie, celle d’y relever les mots rares, ceux qu’ils rencontrent pour la première fois. C’est ainsi que j’ai trouvé à la fin du très beau Bruissement de la langue (Barthes, Le Seuil, 1984) deux pages couvertes de mots écrits en tout petit. Y trônaient hypostase, paragramme, l’étrange signifiose et le très bel éréthisme. Dans La conférence de Cintegabelle, rien. Le livre était vierge de toute lecture, de toute écriture. Son titre ne me disait pas grand-chose. Cintegabelle, petite commune de Haute-Garonne, Lionel Jospin, conseiller général du canton éponyme jusqu’en 2002. C’était tout.

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