Archives par mot-clé : humanité

Le collectionneur

Vies multiples, Être soi, et un autre… et plusieurs, Michéa Jacobi, Éditions La Bibliothèque, 2019

L’entreprise est démesurée, gourmande, sensuelle, érudite, amusée, monomaniaque, plurielle. Michéa Jacobi collectionne les textes et les images, colle, associe, écrit, dessine, range tout ça dans l’ordre alphabétique, a la manie de cet ordre immotivéeuphoriquequi fait la gloire du langage (Barthes). Et comme d’autres les timbres ou les papillons, il collectionne les vies qu’un éditeur épingle dans des livres, regroupées. Le critère de classement est un trait, une activité humaine. Après les marcheurs (Walking class heroes, réédité par le Tripode ce mois-ci), ceux qui aiment (Xénophiles), renoncent (Renonçants), rêvent (Songe à ceux qui songèrent), jouissent (Jouir), voici ceux qui eurent plusieurs vies. Six livres sont nés, vingt titres sont à paraître, puisque chacun est aussi lié à une lettre de l’alphabet (W comme walking…, X comme xénophiles… bon, vous avez compris). Et chaque titre est la galerie de 26 portraits, ce qui nous fera, la publication achevée, un total de 676 vies. Voilà pour le dispositif d’édition nommé Humanitatis elementi. Je n’ai fait qu’évoquer certains titres,  ou , et puis Vies multiples, par la délicieuse mise en abyme qu’il ouvre, m’a donné envie de cerner un peu plus le collectionneur Jacobi.

Encore…

P comme portrait

Je, tu, il ou elle

De l’origine (le protraho latin), l’idée de tirer sur le devant, amener dans la lumière. Le peintre et le photographe connaissent le mouvement. Un être s’avance, saisi par un regard d’artiste. Je me demande souvent devant certains portraits, un regard, une allure, une expression, ce qui attire tant. Qu’est-ce qui se renouvelle, donne envie de s’arrêter, regarder longtemps ? Et dans un roman, un film, qu’est-ce qui fascine dans un personnage, un être, rester dans son sillon, quel qu’il soit ? Enquête avec pour périmètre un P comme PORTRAIT.

Continuer la lecture de P comme portrait

Naïvetés

Détenues, Bettina Rheims, préface de Robert Badinter, texte de Nadeije Laneyrie-Dagen, Gallimard, 2018

Dans la Sainte-Chapelle du château de Vincennes se tient jusqu’au 30 avril l’exposition de Bettina Rheims, Détenues. Détachée de toute construction, très haute, longs rectangles de vitraux miroitant dans le soleil, la Sainte-Chapelle a quelque chose de fier, de prétentieux, d’exalté. À l’intérieur, c’est une autre histoire qui est racontée avec ces photographies. Encouragée par Robert Badinter, B. Rheims a photographié des femmes en prison. Chacune se découpe sur un mur blanc, assise sur un tabouret que l’on ne voit pas, et nous circulons, corps minuscules dans l’édifice imposant, parmi ces images de femmes nous regardant ou pas, enfermées à Rennes, Poitiers-Vivonne, Roanne ou Lyon-Corbas.

Continuer la lecture de Naïvetés

Alors, on fait comment avec les animaux ?

Abattoirs de Chicago, Le monde humain, Jacques Damade, collection L’Ombre animale, La Bibliothèque, 2016

Les gens, ils ont oublié que pour manger de la viande, il fallait tuer un animal. Le directeur d’un abattoir, filmé pour un reportage d’Envoyé spécial diffusé le 16 février 2017, s’agace. C’est vrai, tout a été fait pour qu’on oublie ce point de départ. En anglais, il y a des mots différents pour dire l’animal vivant dans le pré ou la bauge (a calf, a sheep, a pig) et le mort dans l’assiette (veal, mutton, pork). En français et en anglais, on dira vache (cow) pour le mammifère ruminant et bœuf (beef) pour le tartare ou la pièce que l’on demandera saignante ou à point. Citadins pour la plupart, nous ne voyons bien souvent de l’animal que le domestique ou, par le biais d’une échappée campagnarde, les vaches tachetées ou les moutons à laine grasse et aux drôles de pupilles. Jacques Damade situe le point d’origine de notre rapport clivé avec l’animal à Chicago, au début du XIXe siècle. 

Continuer la lecture de Alors, on fait comment avec les animaux ?

Des bêtes et des hommes

Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo, Gallimard, 2016

F. Bacon, trois études pour G. Dyer, 1969, The Estate of F. Bacon, Louisiana Museum of Modern Art
F. Bacon, trois études pour G. Dyer, 1969, Louisiana Museum of Modern Art, © The Estate of F. Bacon

Cinq générations se succèdent entre 1898 et 1981 dans cette ferme isolée du Sud-Ouest, à proximité de Puy-Larroque. Pas exactement une fresque familiale, plutôt la pénétration sourde, implacable, sensorielle d’un monde où se côtoient brutalement bêtes et hommes. De génération en génération, hommes et femmes se parlent peu, mal, et se tuent au travail. Dans une langue précise et crue, Jean-Baptiste Del Amo en traque les routines et les folies. Le romancier aime la peinture et la photographie. Son écriture possède une étonnante capacité à représenter. Continuer la lecture de Des bêtes et des hommes

La dernière gorgée de bière

Ce que j’appelle oubli, Laurent Mauvignier, Minuit, 2011

O coyette ce quej'appelle oubli

Je poursuis l’exploration littéraire en terre avignonnaise. J’avais lu mais… oublié ce texte. Il m’est progressivement revenu en mémoire sous le chapiteau du Théâtre des Halles où il est représenté dans le Off du festival. Je m’installe au premier rang dans l’obscurité heureusement ventilée. Près de moi, un homme replié sur lui-même, un peu gros, me paraît trop vêtu pour les 38° affichés à l’extérieur. Le noir se

Continuer la lecture de La dernière gorgée de bière

Porteurs du feu

La route, Cormac McCarthy, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch, Éditions de l’Olivier, 2008
Sans titre, Jérôme Mitonneau, craie et paraffine, 2003

Ils sont deux. L’homme et l’enfant. Le père et le fils. Ils marchent sur la route. Tout est dévasté. Pluie de cendre, forêts brûlées. Sol, ciel, air, tout est gris. La Terre a subi une terrible catastrophe. Plus de vie hors quelques êtres en quête de nourriture, d’un abri, d’un peu de chaleur. Je viens de relire La route. Je me souviens très bien de la

Continuer la lecture de Porteurs du feu