Archives par mot-clé : lecture

Z comme Zi end

L’infini de la fin

L’alphabet tout égrené. Chacune des vingt-six lettres a pondu plus gros qu’elle. Chacun des vingt-six mots comme un corps caressé, percé, respiré. Quelque chose à extraire de chacun, suc, sperme, larme. Du solide au liquide, on change l’état, on guette le gazeux, le vaporeux, le volatile, l’infime. Dernière lettre. On s’amuse à dramatiser. Mais la voix philosophe interroge : La fin existe-t-elle ? N’est-on pas toujours en train de l’empêcher, de tenter d’y échapper par le souvenir ? La voix philosophe s’accorde avec l’oreille musicienne. Le diapason vibre encore. Alors, pour le plaisir du zézaiement automnal, frangliche mezza voce, voici Z comme ZI END. 

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L’homme, ville ouverte

Régine Detambel, La Splendeur, Actes Sud, 2014

Il est médecin, mathématicien, astrologue, inventeur à une époque où les disciplines de l’âme et de l’esprit n’ont pas encore pris leur chemin bordé de hauts murs. Elles s’interpellent, se croisent, se questionnent. Les mots en –isme ne se sont pas encore démultipliés. La splendeur catholique se lézarde sous l’effet des réformateurs soucieux du seul Livre. Les premiers livres imprimés circulent. André Vésale secoue l’héritage antique de Claude Galien. Nicolas Copernic remet Terre et Soleil à leur place. Christophe Colomb et Amerigo Vespucci élargissent le monde. Girolamo Cardano naît à Pavie en 1501. En 1501, l’Italie est la patrie de l’Homme. C’est fou ce qu’on peut y apprendre : l’art de l’athéisme, l’art de l’épicurisme, l’art du putanat, l’art du poison, l’art de la sodomie et j’en passe. Donc naître italien est le rêve de toute intelligence européenne. Usant de tous les ors de l’écriture, Régine Detambel fait un très beau portrait de ce penseur dans son siècle.

Encore…

O comme oubli

 Que reste-t-il de nos lectures ?

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Vertige. Alors que chaque jour je lis, je crois, quand je ne lis pas, avoir tout oublié de mes lectures. Notamment quand j’entends un lecteur parler des siennes. Ce qui occupe alors mon espace sonore, semble absorber tout ce que j’ai pu lire moi-même. Une bataille se livre. Ses lectures contre les miennes. Heureusement, j’ai ma revanche, il suffit que je prenne la parole et ma mémoire revient. Littérature, lecture et parole, trinité profane avec laquelle s’amuse un démon nommé oubli. Tour d’un puits pas forcément très régulier, en forme d’O comme OUBLI.

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L’aube enflammée de l’écrit

Le démon de saint Jérôme, L’ardeur des livres, Lucrèce Luciani, La Bibliothèque, 2018

Saint Jérôme dans son cabinet d’étude, Colantonio, vers 1445-1450 (Musée di Capodimonte, Naples)

Avant, je rangeais mes livres, verticalement, selon un ordre explicite, dans un endroit unique, nommé bibliothèque. Aujourd’hui, ça dépend. Parfois, mes bureaux, meuble et espace, en sont couverts, piles inégales, entassements qui ne parlent qu’à moi. En désordre, à portée de main, ils témoignent de plaisirs passés ou en promettent de nouveaux. Parfois, insupportée par l’invasion, je reprends la main. Je range. Je retrouve la couleur du plancher, mes rayonnages, un air sage et mon chat, la douce chaleur de l’ordinateur. Une longue guerre est engagée avec les livres, alternance de combats et de trêves, de plaisirs (ce qu’ils ouvrent, confortent, apaisent) et de rages (les mauvais livres dont on se débarrasse, l’infini de ceux qu’on ne pourra lire, l’oubli de ceux qu’on a aimés). Je lis plusieurs livres à la fois, picore ou dévore, j’en ai toujours deux ou trois dans mon sac, plein à côté de mon lit et je ne reviens pas sur les bureaux. L’histoire de l’objet m’intéresse. Folle de livres et de littérature, j’aime mes homologues. Saint Jérôme en était un et Lucrèce Luciani me paraît aussi bien toquée.

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K comme kaïros

Maintenant ou jamais

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

K, ça se complique. Le choix se resserre. Éviter les mots exotiques, rigolos mais qui n’évoquent que des facilités pour profiter des 10 points du K, à placer si possible sur la case bleu foncé (lettre compte triple, pour les hostiles au scrabble). Kafkaien ou kafaen risque de m’engluer dans la littérature sur la littérature. Reste un mot, venu du grec sans trop d’apprêt, dit intraduisible, brut, ouvert, vivant, kaïros. C’est maintenant ou jamais, ascension du K comme KAÏROS.

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Ivres de livres

Le corps des libraires, Vincent Puente, La Bibliothèque, 2015

Roland Topor, « Le voyageur immobile », lithographie, 1968, BNF

Quels libraires se reconnaîtront dans Le corps des libraires – Histoires de quelques libraires remarquables et autres choses ? Tous ceux restés attentifs à la folie, même enfouie, qui les a fait choisir cet étonnant métier. Vincent Puente nous fait traverser de drôles de librairies de France ou d’ailleurs, encore ouvertes ou bizarrement disparues. Nous rencontrons des libraires sortis de romans de Franz Kafka, Robert Walser ou Boris Vian et nous rions beaucoup, ce qui n’est pas forcément garanti avec les deux premiers auteurs cités.

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Jacques Damade, militant dilettante

Rendez-vous est pris avec le premier éditeur-Robinson de ma série. L’été est là, la rue de presque midi est un four, les volets clos de l’appartement font de piètres remparts contre l’épuisante chaleur. Jacques Damade a créé les éditions La Bibliothèque voici 25 ans. Il est fier de ce nom, qui a la force de sa simplicité. LA bibliothèque c’est la sienne, les autres ont besoin pour exister d’un qualificatif (nationale, très grande) ou d’un nom propre, la célébrité de ce dernier disant la dépendance du lieu à son égard. Les éditions de la Bibliothèque se suffisent à elles-mêmes. Portrait d’un éditeur qui cultive le singulier.

Encore…

Proust avant Proust

Sur la lecture, Marcel Proust, Actes Sud, 1988

Tentant de rendre hommage, ici, aussi, à Françoise Nyssen fraîchement nommée ministre de la Culture. Fille d’Hubert, disparu en 2011, créateur de l’étonnante entreprise au nom claquant aux vents de la belle ville d’Arles, elle a creusé le sillon singulier d’une maison qui, loin de Paris, a souhaité éditer autrement. Formats étroits, papier ivoire, auteurs du monde, lieu de pensée, d’arts et de culture, Actes Sud pourrait se définir par ce concentré-là. Impression en l’énonçant de ne dire que l’évidence qui s’est peu à peu imposée depuis 1977. Peut-être que ce qui me frappe le plus c’est que cette maison ait réussi à incarner, en relativement peu de temps et avec autant de force, l’attachement, les liens profonds et nourris avec une tradition, une histoire de la culture, des arts et de la littérature. Mince de ses 64 pages, né préface, Sur la lecture de Marcel Proust a été édité en 1988 de façon autonome par la maison arlésienne. Si Anne Walter, cinéaste et romancière qui a eu l’idée de cette publication détachée mais ancrée dans l’histoire de l’art de la littérature, m’avait demandé une préface à ce qui n’en était plus une, voici l’histoire que j’aurais racontée…

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La littérature transite par l’estomac

Qui a peur de l’imitation ? Maxime Decout, Minuit, 2017

« Sans titre », Andy Warhol et Jean-Marie Basquiat, acrylique et huile, 1985.

Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé. C’est Paul Valéry qui parle, cité par Maxime Decout au début de Qui a peur de l’imitation ? L’essai parait dans la collection Paradoxe (Minuit) accueillant une grande partie de l’œuvre de Pierre Bayard. L’idée de la collection est de soulever une bizarrerie chahutant la littérature pour en déployer toute la fécondité. Les écrivains revendiquent (et les lecteurs, généralement, les attendent à ce tournant-là) une originalité de création. Par ailleurs, chaque écrivain a ses modèles, son panthéon, à la fois indispensable nourriture et profonde angoisse (vais-je arriver à faire différemment, voire, rêvons un peu, mieux ?). Maxime Decout a décidé d’en découdre avec l’imitation, puissant lieu de réflexion sur l’influence, la dette, le rejet, l’originalité, le style et l’identité. Plongée dans l’art du pastiche, de l’allusion, la parodie, la satire et autres formes d’inspirations inspirantes.

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