Plutôt nourrir – L’appel d’une éleveuse, Clément Osé & Noémie Calais, Tana Éditions, 2022
Chère Noémie,
Je vous ai découverte au Festival international de géographie de Saint-Dié, lieu-temps où chaque année au début du mois d’octobre se pressent des gens qui pensent la Terre. L’idée de la panser était à l’honneur cette année puisque le thème était Urgences. Votre conférence se tenait sous un chapiteau de cirque bleu et jaune, et s’intitulait La fin des haricots. Après avoir étudié à Sciences po, travaillé dans l’audit à Hong-Kong et à Londres, vous vous installez en 2017 dans le Gers. Là, vous ouvrez vos yeux, vos oreilles, tout votre être, offrez vos bras pour travailler dans des fermes, suivez une formation au lycée agricole de Mirande, obtenez votre BPREA (Brevet professionnel de responsable agricole), et continuez à apprendre à Aurillac, filière boucherie-charcuterie.
En arrivant dans le Gers, vous pensiez maraîchage, vous penchiez pour un végétarisme hérité de votre urbanité, mais vous optez pour l’élevage d’une race de cochons noirs qui a failli s’éteindre dans les années 80.
À deux reprises sous la toile bleue et jaune, les gens, spontanément, vous applaudissent. Vous n’avez pourtant rien d’un animal de cirque et ne cherchez pas à impressionner avec un quelconque numéro. Vous racontez simplement l’élevage de vos cochons, ce que vous avez souhaité faire avec eux, pour eux, leur mise au monde, leur vie à gambader et se nourrir de céréales choisies puis de toutes sortes de restes alimentaires, l’accompagnement à l’abattoir (vous préfèreriez leur donner la mort vous-même mais ce n’est pas légal), la découpe de la carcasse et les différentes préparations culinaires, enfin la rencontre avec ceux qui achètent vos produits sur un marché gersois. Raconter chacun de ces moments fait briller un peu plus vos grands yeux bleu-gris-vert déjà très brillants quand vous ne parlez pas.
Vous avez écrit ce livre, Plutôt nourrir – L’appel d’une éleveuse, avec un ami, Clément Osé, dont la trajectoire ressemble à la vôtre (Sciences Po, le monde, puis l’installation dans un collectif paysan béarnais). Entre décembre 2020 et novembre 2021, il vous rend visite, vous interviewe. En sort un texte que vous truffez d’extraits de votre journal d’éleveuse.
Je lis tout ça d’une traite, retrouvant l’émotion que j’ai eue sous le chapiteau bleu et jaune. Votre livre est précis, documenté, habité. Le mot paysan retrouve toute sa plénitude. Paysan, paysages, pays, tout s’inscrit dans une continuité, on ne casse rien, on ne segmente rien, on regarde l’ensemble, on prend soin, on est dans une vision holistique de l’élevage, de la nourriture, de la vie. La lettre aux paysans de Jean Giono est citée : Si entre la terre et le corps on place l’argent, le paysan devient capitaliste ; si entre la terre et le corps on place la propriété d’un autre, le paysan perd ses qualités paysannes et il devient un ouvrier.
Sur la mort animale, vous écrivez : L’acte de mort n’a pas été le couperet définitif auquel je m’attendais, mais il a profondément modifié mon rapport à la viande et à l’animal. Le moment de tuer est d’une intense solennité. J’aimerais que chaque consommateur de viande fasse l’expérience de la mort de l’animal qu’il souhaite manger. Pas pour le culpabiliser ou le mettre au défi, mais pour qu’il prenne la mesure de ce que c’est que de prendre la vie, pour qu’il ressente les soubresauts nerveux de l’être vivant qui meurt, qu’il voit les paupières se fermer, qu’il palpe le pouls qui s’en va et sente le sang chaud sous ses doigts. Sinon, il mange de l’ignorance, trois fois par jour.
Avec votre façon d’être avec vos cochons noirs, vous dépassez l’opposition contemporaine entre « animaux-enfants » (les chiens-chats) et « animaux-matière » (qui alimentent la filière agro-industrielle et la plupart d’entre nous) et à propos de laquelle Clément Osé dit : la relation à l’animal enfant est un moyen de se racheter une conscience par rapport à ce que nous faisons subir à l’animal matière.
Avec votre façon d’être avec vos cochons noirs, vous racontez le versant ensoleillé de la paysannerie. Bien sûr, vous êtes parfois fatiguée, bien sûr les journées sont dures et les vacances impossibles, bien sûr les réglementations pilotées par la filière agro-industrielle vous mettent en colère. Tout cela, vous l’avez très bien expliqué sous le chapiteau bleu et jaune, et dans ce livre. Pourtant, ce que je retiens de vos mots, c’est la joie (Giono n’a pas été cité au hasard) et c’est par la joie que vous savez convaincre et essaimé. Qu’elle demeure !
Et pour le côté sociologue et zootechnicienne on peut lire aussi « Une vie de cochon » de Porcher et Tribondeau (La découverte)…