Archives de catégorie : À voix haute

On sait, on est de la famille

Au cirque, Patrick Da Silva, Le Tripode, 2017

C’est une histoire. Elle est écrite depuis les temps immémoriaux ; elle s’écrit à nouveau ; celle-là même, entre quelques autres. On la connait. Elle ne cesse de s’écrire avec les inflexions, des variantes mais la même. (…) histoire de dire les abîmes qui nous traversent, nous aspirent, que l’on fuit, qui nous fondent, cette violence animale et céleste, qui nous anime, nous agit et nous brûle. Extrait de la postface d’Au Cirque de Patrick Da Silva. J’ai envie de commencer par ces mots de la fin qui disent sans détour l’éternel de l’histoire, l’éternel de ce qui recommence à s’écrire parce que ça a toujours été là et continuera de l’être. Au cirque raconte par la fin une tragédie familiale, mère retrouvée pendue, yeux du père arrachés, langue et sexe tranchés. Et puis, on remonte le fleuve dangereux de l’histoire, convoqués par l’irrésistible envie de savoir. Pourquoi ? Comment ça a commencé ? Qui a fait le coup ?

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Enfance, es-tu là ?

Le Chant du Marais, conte écrit par Pascal Quignard et mis en images par Gabriel Schemoul, Chandeigne, 2016

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En 1530, un tailleur et fondeur de caractères parisien donne naissance à une nouvelle typographie. Galbe raffiné des lettres rondes, finesse des empattements triangulaires, rares appendices ornementaux, le Garamond* est un modèle de pureté et d’élégance. Née de l’Humanisme et de la Renaissance, la typographie est choisie pour composer Pantagruel de Rabelais et Éloge de la folie d’Erasme. En 1598, elle sert à imprimer l’Édit de Nantes qui met fin aux guerres sanglantes entre Catholiques et Protestants. Bien inspirées, les Éditions Chandeigne ont choisi le Garamont pour composer Le chant du Marais, conte écrit par Pascal Quignard, magnifiquement mis en images par Gabriel Schemoul, prenant pour décor les tensions religieuses du XVIe siècle.

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Impasse familiale

Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, Les Solitaires Intempestifs, 2016

La famille « réunie » dans l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan (2016)

C’est le film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde, qui met à nouveau la pièce écrite par Jean-Luc Largarce en lumière. Achevée en 1990, elle ne sembla alors intéresser personne. En 1999, le metteur en scène Joël Jouanneau la découvre enthousiasmé et décide de la monter. Depuis, ce texte sur l’impasse familiale est régulièrement représenté et est entré en 2007 au répertoire de la Comédie française.

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Dans l’impossible du souvenir

De la poussière sur vos cils, Julien Bosc, La tête à l’envers, 2015

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A. Kiefer, Paysage d’hiver, 1970, MET, New York

De la poésie, j’en lis peu. Pourtant, dans certains romans, elle m’appelle. Certaines phrases m’attirent, phrases elliptiques, dans lesquelles des mots viennent s’entrechoquer, étonnés d’être soudain accolés. Un ami poète, Julien Bosc, m’a offert De la poussière sur vos cils, son dernier recueil paru. Je l’ai lu plusieurs fois. Il me semble que la poésie nécessite ces traversées successives.

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Mangé qui croyait manger

La Demande d’emploi, Michel Vinaver, L’Arche, 1973 (réédité en 2015)

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La pièce date de 1973. Son auteur, Michel Vinaver avait alors écrit et publié mais était surtout patron de la société Gillette. Il connait l’entreprise. Le texte reste d’une étonnante actualité. Il est même plus actuel encore que lors de sa parution, rattrapé par le réel. Très limités dans les années 1970, les licenciements individuels de cadres se sont multipliés. Un mode de management parmi d’autres. Le texte de Michel Vinaver dit le monde du travail chahuté par les choix des grandes entreprises, il dit ce qu’il exige, il dit la mise à l’écart des plus âgés, autour de 50 ans, il dit le tourment de ceux qui en sortent et qui peinent à y retourner.

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Intarissable Flaubert

Bovary, Tiago Rodrigues, traduit du portugais par Thomas Resendes, Les Solitaires intempestifs, 2016

Alma Palacios dans le rôle d'Emma (Théâtre de la Bastille, mai 2016)
Alma Palacios dans le rôle d’Emma (Théâtre de la Bastille, mai 2016)

Gustave Flaubert a écrit quatre romans. C’est peu au regard de la prolixité de ses contemporains Honoré de Balzac, Émile Zola ou Victor Hugo. Il a entretenu une généreuse correspondance (rassemblée en cinq tomes dans La Pléiade sans compter le volume de 496 pages de la même collection, consacré à la simple indexation des noms de personnes, personnages, œuvres, lieux recensés dans ladite correspondance). Il inspire très régulièrement et depuis des dizaines d’années, la recherche universitaire, des essais, des pièces de théâtre, des romans et nouvelles. Gustave Flaubert n’en finit pas de parler, de faire parler et de faire écrire.

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Corps parlants

Vodka, Emmanuelle Jay, illustrations de Noémie Chust, Michel Lagarde, 2016 /// Le corps de la langue, Julien Bosc, préface de Bernard Noël, Quidam éditeur, 2016

Deux livres reliés par les plaisirs du corps et les mots pour les dire. Deux livres qui explorent des corps qui parlent du plaisir qui les traverse. Deux textes poétiques qui mettent chacun en présence un corps de femme et un corps d’homme. Deux textes qui font chacun parler une femme. Vodka est écrit par Emmanuelle Jay, Le corps de la langue par Julien Bosc.

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