Le coup du lapin et autres histoires extravagantes, Didier Paquignon Le Tripode, 2018
Quel est le point commun entre un coup du lapin et un fait divers ? On est pris par surprise. On peut mourir de l’un, surtout le lapin, et de l’autre, plutôt de rire, à sa lecture. Peintre, Didier Paquignon, est aussi collectionneur de faits divers. Dans Le coup du lapin, il illustre d’un magnifique monotoype près d’une centaine de faits divers glanés dans la presse française et étrangère. Histoires vraies, brèves, noires, drôles, bouleversantes. Un employé de la manufacture de tabacs de Palerme, muet de naissance, a été condamné à une amende de 400 000 lires pour avoir harcelé sa fiancé au téléphone à plusieurs reprises entre 1995 et 1996 (Corriere della Sera, 3 juin 1999).
J’aime la froide (et fausse) précision du fait divers. L’attachement obsessionnel à situer les choses (lieu, date, liens familiaux, quantités…) qui ouvre en réalité un abîme. La lecture de ce qui semble si clair terminée, reste une question… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?! Dans La Voix du Nord du 26 février 2015, Une femme âgée de 46 ans, a massacré son chien à coups de couteau le soir du 29 janvier à son domicile de Roubaix, dans le Nord. « J’ai tué mon chien, mais je croyais que c’était mon mari. » a indiqué l’épouse aux policiers. Il est souvent question de mort, par meurtre ou suicide, dans les faits divers.
Les surréalistes s’y sont intéressé de près. Et pas comme dans les polars. Il n’y a ni quête, ni recherche de coupable, mobile, vérité, tout ça au singulier. Quand on lit dans les journaux, comme on a pu le faire récemment l’histoire d’un enfant de dix ans qui en étrangla un autre de cinq, le traîna nu dans un champ pendant toute une journée et le laissa enfin pendu à une barrière, personne ne songe à appliquer des idées habituellement tolérées sur les « mobiles » d’un crime, ni à contester que cet acte ait une explication dynamique. Tout comme la névrose et le caractère, la plupart des formes du comportement humain (et en particulier le crime et le suicide) sont susceptibles de telles explications. Le psychanalyste J. Frois-Wittmann* (1892-1937) qui fut proche du mouvement surréaliste, a exploré cette conception pluraliste de l’être humain. Et l’expression fait divers sonne alors si juste. Au-delà de sa simplicité factuelle, il porte en lui toute une diversité, richesse, complexité impossibles à résoudre par une simple chaîne de causalités.
Et le mystère s’épaissit un peu plus quand il est question d’animaux. La sélection de D. Paquignon en comporte un grand nombre (chien aspiré par les canalisations de toilettes alors que son petit propriétaire souhaitait simplement le laver, taupes condamnées par un tribunal pour destruction de récoltes, hamster glissé par un Américain, avec son consentement, dans le rectum de son compagnon et je ne raconte pas la fin, plus étonnante que le début). Ou dans le Libé du 28 juillet 2003 : Une importante expédition britannique vient de s’installer pour quatre semaines dans l’Atlantique Sud… « afin de tenter de prouver que, contrairement à la légende, les pingouins ne tombent pas à la renverse lorsqu’un avion les survole ». En 1982, durant la guerre des Malouines, des pilotes anglais avaient observé ou cru observer le contraire.
J’ai lu, souri, et je suis restée là, ivre de toute cette inventivité humaine et des explications que l’on ne manque pas de chercher à ces gestes. Pourquoi quand on est un petit Américain de 6 ans, appelle-t-on le 911 pour dénoncer son père qui vient de griller un feu ? Pourquoi quand on est une Polonaise de 80 ans, décide-t-on de rencontrer par annonce un homme, l’inviter, l’endormir avec un anxiolytique et lui voler son argent et ses téléphones portables ? Pourquoi quand on est des parents néo-zélandais et que l’on connait la rigueur de la législation sur les prénoms de son pays (une liste noire de 77 noms a été établie) décide-t-on d’appeler sa fille Talula Does The Hula From Hawaii (Talula fait la danse Hula de Hawaï) ? Je trouve d’ailleurs le juge néo-zélandais un peu sévère (il a ordonné de rebaptiser la fillette) s’appuyant sur une jurisprudence établie (Number 16 Bus Shelter ou Midnight Chardonnay, autres prénoms condamnés) pour arguer du handicap social qui pesait sur TDTHFH. Je suis sûre que la gamine se serait tout simplement appelée Talula, voire Lula ou Hula, et de temps en temps, se serait amusée à faire deviner à ses camarades tout son prénom. Avec un peu d’espièglerie et d’inventivité, il serait devenu véritable lien social, vu le temps qu’auraient pris ses petits amis à résoudre la singulière énigme. J’ai l’air de m’égarer mais c’est aussi ça les faits divers, des histoires qui ouvrent mille spéculations.
Les monotypes de D. Paquignon en célèbrent avec force le mystère, le drame et l’humour. Plusieurs regards perplexes nous sont lancés, celui du hamster (le même), un poil roublard, celui de la louchonne qui confondait chien et mari ou celui du serpent, tête lovée entre deux seins siliconés, mort d’avoir ingéré un peu de la substance. Arme fatale.
*L’extrait est tiré de Faits divers surréalistes, textes réunis et présentés par Masao Suzuki, Jean-Michel Place, 2013.
Né en 1958, formé aux Beaux-arts de Paris, Didier Paquignon est peintre. Il a notamment entrepris une série de monotypes, Les muses, portraits de plus d’une centaine d’artistes masculins.