Y comme Y-es-tu ?

Comptine de la peur

Loup y-es-tu ? M’entends-tu ? Que fais-tu ? demande l’enfant. Culotte, chemise, chaussures… le loup répond puis déboule. Ouh ! Et l’enfant s’enfuit. Y es-tu ? Es-tu dans cet Y du tout près qu’on ne voit pas, mais qu’on sent et qu’on frôle ? Excitation de la peur, ça vibre en soi. Mais qu’est-ce que tu vas chercher là ? Y, c’est le bois, un point c’est tout. Non, ce n’est pas tout. Enfourchons la question à l’initiale fourchue et sans peur, sondons cette peur dans un héroïque Y comme Y-ES-TU ?

Ma petite peur chérie, est-ce que tu es bien toujours là, que je t’écoute, que je te voie, que je te détaille, que je te garde encore ? Non, n’aie pas peur (je me souviens… Quel est le comble de… la peur ? Elle-même, lisait-on en retournant l’emballage jaune et rose du Carambar). Ni toi, ni moi ne sommes prêtes à nous séparer, à nous tourner le dos, toi pour filer dans ton bois noir, moi pour aller partout. Là, je suis encore avec toi dans le noir du bois et tu me réponds, je sais que tu es là. Et tous ses atours que tu aimes choisir pour te montrer cachée ? Tu me rassures, tu t’habilles pour moi, pour me rendre visite encore. Et je vais faire comme si je n’y voyais que du feu. Ce n’est pas qu’un jeu de mots chantonnés.

Gustave Doré, Le petit chaperon rouge, illustration réalisée pour la première édition des Contes de Perrault, Hetzel, 1861

Peur de finir ? Non, t’inquiète. Y’a encore le Z après. Et puis au rythme où j’avance, y’a le temps de voir venir. Mon alphabet peut continuer de s’étirer. Encore quelques mois monsieur le bourreau ! Là, je sens que je franchis quelque chose, que je perds tous mes lecteurs, comme le fruitier ses fleurs dans la tornade, peut-être même que je me perds moi-même, mais ça ne me fait pas peur. J’ai confiance dans ce brouillard. Je suis dans un châle tiède, toute hébétée. Ne pas savoir, marcher à l’aveugle, je passe d’abord, qui m’aime me suive et tant pis si j’erre dans un désert de mots suspendus, de lettres molles, un paysage dont je suis l’ermite. Une terre sans fard, promise à on-ne-sait-quoi, un endroit qui me convoque, et j’accepte sans broncher le rendez-vous. Je sens l’importance du truc, pas envie d’y couper. Au contraire, très envie de cet Y, lieu étroit, langue fourchue, qui fera peut-être aussi fourcher la mienne, ou la déroulera pour en faire voler une nuée de sauterelles, de pétales et de pollens. Pentecôte athée.

Est-ce que la peur parle ? Bien sûr, puisque je l’entends. Je la vois, je la sais, là. Je veux l’écarter mais elle résiste, s’accroche et j’ai l’impression que d’elle je vais apprendre. Quoi ? Je ne sais pas. Je ne sais rien. Juste qu’elle est là, qu’elle me parle ou que je la fais parler. C’est pareil. On ne fait qu’une et je ne vois plus très bien nos frontières. Parfois, j’en arrive à douter de son existence, alors je me sens légère. C’était un rêve mauvais, une invention. Mais non, à nouveau elle est là, blottie, chaude, animal poilu collé à mon flanc.

Gustave (a)Doré, encore

Plus qu’à le virer. Sauf s’il me mange avant. Lutte finale. Yeux dans les yeux. Griffes sur le drap, bonnet cache-oreilles. Tout a l’air paisible. Y pas de lézard mais y un loup. Et je sais où. Dans un Y secret, invisité, invisitable. Juste une vague porte qui fait faire les yeux ronds aux passants. Quelques curieux s’approchent du seuil. Ceux qui savent, ceux qui sentent, ceux qui ont leur propre Y. Lettre d’ailleurs qu’ils ont fait leur.

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