Archives par mot-clé : poésie

Le goût de la fée

Sèvre, eaux fortes, Vincent Dutois, le Réalgar, 2020

Pour la première fois je suis allée à Niort. Pour la première fois, je suis entrée dans la librairie des Halles, centrale et spacieuse. On y trouve ce qu’on cherche et ce qu’on ne cherche pas, grandeur de la librairie. Je saisis le livre, mince et petit, parmi tant d’autres. L’œil, la main, et les doigts qui écartent les pages. Quelques lignes, ça suffit. Confiance dans l’effluve. Je paie. Le texte dessine la Sèvre. L’écrivain la suit sur une carte, sur un timbre, sur la terre, dans le temps. C’est un geste d’écriture avec arabesques, délicatesses et frémissements, un murmure.

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L’imaginaire au pouvoir

Les pas perdus, Étienne Verhasselt, Le Tripode, 2018

Il y en a 41. 41 nouvelles courtes, très courtes, un peu plus longues, comme l’annonce le sous-titre de la page de titre. Je lis, je déguste chaque texte comme un petit mets délicieusement absurde. Je sais vite que j’ai envie de leur faire une place sur l’île. Je cherche laquelle. Qu’est-ce qui relie tous ces textes drôles, graves, inventifs, portés par un imaginaire aussi fertile ? Je tente plusieurs fils conducteurs, mais rien ne marche, tout traîne, se suspend vite. Trois débuts de chronique se retrouvent dans mon petit cimetière des textes impossibles à finir. Je continue quand même à dire autour de moi que j’ai lu un recueil de nouvelles super (le goût de la précision me lâche parfois). Et puis, récemment, un ami me dit Mais pourquoi tu ne parles pas d’une seule de ces nouvelles ? Si simple, si lumineux conseil, merci.

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M comme mélancolie

Le mot et la chose

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Presqu’un nom de fleur. L’attaque en douceur du m, l’allitération en l avec, intercalée, la petite dureté du c. Mot-mélodie dont j’ai toujours senti l’accord entre son et sens. Léo Ferré me l’a beaucoup chantée. Retour aux sources : addition grecque de mélas (noir) et khôle (bile), bile noire, l’une des quatre humeurs, celle qui cause la tristesse, détectée par Hippocrate à l’aube de la médecine. Marée ancienne, la mélancolie s’est largement déployée dans les champs de la psychologie et de la littérature. Des écrivains en sont affligés, ils se consolent avec l’inspiration qu’elle délivre. Onde parfois fertile. Petit bain dans une eau ténébreuse avec M comme MÉLANCOLIE.

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Aux amoureux de la langue

Petite archéologie des dictionnaires, Richelet, Furetière, Littré, présenté et annoté par Jacques Damade, La Bibliothèque, 2003 // Poésie du gérondif, Jean-Pierre Minaudier, Le Tripode, 2017

Dictionnaires et grammaires sont deux types d’ouvrages qui décrivent la langue, l’énoncent, l’expliquent, l’illustrent. Deux types d’ouvrages qui en parlent de l’extérieur, tout en s’en nourrissant et en usant pour s’écrire eux-mêmes (comment faire autrement ?). Petite archéologie des dictionnaires et Poésie du gérondif explorent avec humour, joie et curiosité chacun de ces versants. Amoureux de la langue, ne pas s’abstenir.

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H comme haïku

Les pouvoirs du peu

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Dans La préparation du roman, Roland Barthes consacre plusieurs séances au haïku. C’est avec cette lecture que je me suis vraiment plongée dans la forme poétique nippone. Je ne dirais pas qu’elle me soit devenue familière, mais elle est entrée dans mon paysage littéraire. Cette façon dont le très court se déploie m’intrigue. Tension entre l’économie extrême de mots et l’infini des sens. Comme un pied de nez à l’écriture-même. Humons-voir avec ce H comme HAÏKU.

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E comme expérimental

No limit

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Déjà assez libre avec cette consigne d’écriture que je me donne (associer à une lettre un mot, puis fabriquer à partir de lui, une chronique littéraire dans l’air du temps mais pas que), j’en rajoute avec le choix d’un mot qui invite à la sortie de route, au mélange des genres, à la déconstruction, l’exploration de ce qui n’a pas pignon-sur-rue. La littérature expérimentale, c’est quoi au juste ? La littérature n’est-elle pas, par nature, expérimentale ? Voyons voir avec ce E comme EXPÉRIMENTAL.

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C comme cliché

Paria de la littérature ?

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe et il est si agréable et si naturel à l’Homme de se nourrir du jardin qu’il n’a ni bêché, ni semé, ni planté. Pour Rémy de Gourmont, auteur prolifique du XIXe siècle, le cliché est ce fruit, tentant et défendu en littérature. Il y consacre un chapitre de son Esthétique de la langue française (1899). Au-delà du cliché du cliché-paria-de-la-littérature, il y a dans cette forme quelque chose d’incertain, de sournois, de relatif et même d’explosif. Lumière sur une bête réputée noire (ex-æquo avec la-page-blanche) de l’écrivain : C comme CLICHÉ.

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Dans l’impossible du souvenir

De la poussière sur vos cils, Julien Bosc, La tête à l’envers, 2015

shoah souvenir
A. Kiefer, Paysage d’hiver, 1970, MET, New York

De la poésie, j’en lis peu. Pourtant, dans certains romans, elle m’appelle. Certaines phrases m’attirent, phrases elliptiques, dans lesquelles des mots viennent s’entrechoquer, étonnés d’être soudain accolés. Un ami poète, Julien Bosc, m’a offert De la poussière sur vos cils, son dernier recueil paru. Je l’ai lu plusieurs fois. Il me semble que la poésie nécessite ces traversées successives.

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