W comme who

Hommage aux papous dans la tête

Ça y est, retour au face à face avec ma bibliothèque. Pas pingre mais lui en manque toujours un, celui que je veux, juste là, maintenant, histoire de courir les librairies. Très enfantin. Je n’ai jamais réussi à fréquenter les bibliothèques, toujours senti quelque chose de faux là où tout le monde baisse la tête, chuchote, semble absorbé. Peu pratiqué l’emprunt de livres. L’avoir sinon rien. Très enfantin. Je repense à ma dernière chronique et mon goût pour la citation, immodéré à l’écrit, pas à l’oral, truc de pédant. Très enfantin. Et ce W, ça arrive, oui ? No stress, on a du temps. Alors, je me suis dit que je pourrais les enchaîner, sans dire l’origine. Pénélope tisse, Max colle et moi je fais du texte rapiécé sans couture apparente. L’auteur disparaît, comme disait… who déjà ? Très cher W, te voici chargé d’une lourde mission, porter le mystère de l’auteur. Who, moi ? Oui, toi, W comme WHO.

Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île. Elle s’appelle W. Le voyageur égaré, le naufragé volontaire ou malheureux, l’explorateur hardi que la fatalité, l’esprit d’aventure ou la poursuite d’une quelconque chimère auraient jetés au milieu de cette poussière d’îles qui longe la pointe disloquée du continent sud-américain, n’auraient qu’une chance misérable d’aborder à W. Nous nous trouvons ici devant une difficulté : autant l’avouer franchement, sans palabres. Voici devant nous un épisode qui, proprement, nous barre le chemin : impossible de l’ignorer. Il est sombre, mystérieux ; nous ne possédons à son sujet aucun document. Il serait vain par la suite de chercher à l’expliquer. Incidents burlesques et tragiques d’une époque troublée qu’aucun historien ne pourra relater fidèlement ! Notre devoir strict est de noter ici les faits pour autant qu’ils sont assurés : le lecteur en fera, pour lui, ce qu’il pourra.

Il avait manqué sa vie, répétait-il. Vraiment ? Mais regardez donc, comprenez donc ! 

« Le spectacle n’est pas nouveau pour moi, mais, ce jour-là, il m’avertissait de ma propre déchéance que j’ai tout à coup sentie en moi, comme un mal insidieux, déjà installé. Pourquoi et comment un homme en vient-il à dégringoler la pente ? Je ne sais pas où se sont brisés les fils qui me rattachent à mon enfance. Comme tout le monde, ou presque, j’ai eu un père et une mère, un pot, un lit-cage, un hochet, et plus tard une bicyclette que paraît-il, je n’enfourchais jamais sans pousser des hurlements de terreur à la seule idée qu’on allait vouloir relever ou même enlever les deux petites roues adjacentes qui m’assuraient ma stabilité. »

Ils sourirent tous. Peter Walsh ! Tous les trois, Lady Bruton, Hugh Whitbread et Richard Dalloway, se rappelèrent la même chose : comme Peter avait été passionnément amoureux ; s’était fait rejeter ; était parti aux Indes ; n’avait pas réussi ; avait gâché sa vie ; et Richard Dalloway avait une grande affection pour ce cher vieux Peter.

« Mon esprit était plein d’anxiété en pensant à ma femme. Je me la représentais à Leatherhead, terrifiée, en danger, et me pleurant déjà. J’allais et venais dans cette maison, pleurant de rage à l’idée d’être ainsi séparé d’elle, songeant à tout ce qui pouvait lui arriver en mon absence. »

« Bien sûr. Vous sentez que le monde est plein de choses instables. Les égreneuses disparaissent dans les flammes. Le corps des pompiers a un matériel au-dessous de tout. Rien ne peut servir de protection. Le soleil de l’après-midi est chaud. Ça n’est pas une protection. »

« Vous savez, les spectres et les cafards ne brillent pas par l’intelligence. Avec eux, tous les trucs sont bons, pourvu qu’on les emploie avec persévérance. Le mien, je lui ai fait croire que je me passionnais pour la peinture. Quand j’étais en train de peindre, il était intimidé et me laissait un peu tranquille ; et savez-vous ce qui est arrivé ? C’est que je me suis vraiment passionnée pour la peinture. »

L’auditoire resta assis dans l’expectative. Puis Florin servit le punch avec une louche, prenant soin que les plus jeunes ne prissent pas les verres destinés à leurs aînés, mais que chacun, selon sa capacité, eût un peu plus, mais pas beaucoup plus, que de raison. « Allumez les bougies ! » sur quoi, ils bondirent aussitôt de leurs sièges et allèrent s’agiter autour de la desserte pour trouver des bougies. Pourquoi ne pouvait-il jamais dissimuler ses impressions ?

Le lendemain, c’était l’Atlantique. Vagues majestueuses qui se dressent au-dessus d’opaques et ténébreuses profondeurs, striées d’écume à leur faîte comme ces montagnes où la neige résiste, par plaques, au dégel. Couleur de plomb et couleur d’ardoise au soleil, vert réséda, bleu horizon et kaki comme des uniformes sur un champ de bataille.

Oh, si seulement elle avait trouvé un moyen de se détendre ! Mais comment était-ce possible ce jour-là alors que tout allait mal ? Elle donna un premier coup de pinceau d’un mouvement brusque et décidé, avec une sensation curieuse, celle d’être à la fois poussée en avant et retenue en arrière. Le pinceau descendit. Son brun frémissement courut sur la toile et laissa une longue traînée. Elle songea qu’elle se trouvait une fois de plus soustraite aux bavardages, à ce dont se compose la vie, à sa communauté de sentiments avec ses frères humains et jetée en présence de son ancien et formidable ennemi – cette autre chose, cette vérité, cette réalité qui mettait soudainement la main sur elle, dressait sa rigidité puissante sur le fond des apparences et exigeait son attention. Et puis, là-dessus, comme un typhon qui tournoie, les bruits de la bataille commencèrent à revenir.

Le récit possède la qualité essentielle de la littérature. Enlevez l’agitation de la surface, la ressemblance avec la vie demeure pour nous procurer un plaisir plus profond, un jugement subtil des valeurs humaines. En écartant cela aussi de notre esprit, nous pouvons nous arrêter avec une extrême satisfaction sur l’art le plus abstrait, qui, dans la scène du bal, modifie les émotions et distribue les rôles de sorte qu’il est possible d’éprouver un plaisir tel qu’on en éprouve à lire de la poésie, pour elle-même, et non de suivre un enchaînement qui conduirait le récit ici et là.

La bande des W, par ordre alphabétique : Edith, Evelyn, Georges, Herbert George, Tennessee, Virginia. Et il y a Max aussi, le pince-sans-rire.

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