Archives de catégorie : L’écriture ou la vie

La littérature transite par l’estomac

Qui a peur de l’imitation ? Maxime Decout, Minuit, 2017

« Sans titre », Andy Warhol et Jean-Marie Basquiat, acrylique et huile, 1985.

Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé. C’est Paul Valéry qui parle, cité par Maxime Decout au début de Qui a peur de l’imitation ? L’essai parait dans la collection Paradoxe (Minuit) accueillant une grande partie de l’œuvre de Pierre Bayard. L’idée de la collection est de soulever une bizarrerie chahutant la littérature pour en déployer toute la fécondité. Les écrivains revendiquent (et les lecteurs, généralement, les attendent à ce tournant-là) une originalité de création. Par ailleurs, chaque écrivain a ses modèles, son panthéon, à la fois indispensable nourriture et profonde angoisse (vais-je arriver à faire différemment, voire, rêvons un peu, mieux ?). Maxime Decout a décidé d’en découdre avec l’imitation, puissant lieu de réflexion sur l’influence, la dette, le rejet, l’originalité, le style et l’identité. Plongée dans l’art du pastiche, de l’allusion, la parodie, la satire et autres formes d’inspirations inspirantes.

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Roman, genre immortel ?

Rouvrir le roman, Sophie Divry, Editions Noir sur Blanc, 2017

Je découvre Sophie Divry. Pas encore 40 ans, auteure de quatre romans dont deux très remarqués, annonce la quatrième de couverture, mais à côté desquels je suis passée, elle publie un essai généreux, nourri et enthousiaste sur le genre roman. Pas si fréquent qu’une jeune romancière ni normalienne, ni universitaire, ni monstrueusement connue, s’avance sur ce territoire du penser-la-littérature. Qu’explore cette aventureuse aventurière ?

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Michon, magnifique abruti du Caucase

Le roi vient quand il veut – Propos sur la littérature, Pierre Michon, Albin Michel, 2016

michonCertains livres effectuent un trajet incertain avant de m’arriver. J’entends un titre, le note dans un carnet, sur mon téléphone. Il revient à nouveau, je vois une couverture sur une table ou dans un rayon de librairie, quelqu’un m’en parle, un proche, une voix à la radio ou dans un autre livre. Des petites touches. Pas de véritable volonté encore, de me laisser approcher par ce livre, cet auteur. Une mise à distance nécessaire, le temps d’une attente. Comme le dit R. Barthes (Fragments d’un discours amoureux) à propos de l’être aimé ou à aimer. Il y a une scénographie de l’attente : je l’organise, je la manipule … l’attente est un enchantement : j’ai reçu l’ordre de ne pas bouger. Jusqu’au jour où ça y est, c’est le moment, je vais entrer dans le livre. Continuer la lecture de Michon, magnifique abruti du Caucase

Où la littérature prend-elle sa source ?

L’art et la formule, Jean-Yves Pouilloux, Gallimard, 2016

Alexandre Hollan, Vie silencieuse, 2013

De quoi traite cet essai dont le titre s’annonce comme un (très) vaste programme ? De l’alchimie mystérieuse, complexe, tendue, entre écriture et perception sensible. Alchimie qui donne naissance à la littérature, celle qui permet d’accéder à une plus grande connaissance de soi. C’est ainsi que la définit Jean-Yves Pouilloux, professeur émérite de littérature à l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Avançant avec plusieurs écrivains, philosophes et peintres (Proust, Queneau, Bouvier, Merleau-Ponty, Giaccometti, Hollan…), il tente de répondre à la question : où la littérature, et plus largement la création, prennent-elles leur source ? Continuer la lecture de Où la littérature prend-elle sa source ?

Le beau métier de critique

La beauté du monde, la littérature et les arts, Jean Starobinski, présenté par Martin Rueff, Quarto Gallimard, 2016

starobinski

Les Éditions Gallimard ont eu la bonne idée d’éditer les écrits de Jean Starobinski consacrés aux écrivains, peintres et musiciens que le critique et passionné des arts publia entre 1946 et 2010. J. Starobinski est un personnage singulier. Né en 1920, auteur de deux thèses, en littérature (sur Rousseau) et en médecine (sur le traitement de la mélancolie), il fut médecin psychiatre, historien des idées, essayiste, fin mélomane, grand amateur de peinture et porta un regard neuf sur la critique littéraire.

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Partir en vacances de soi

Disparaître de soiUne tentation contemporaine, David Le Breton, Métailié, 2015

Monica Vitti dans L’Avventura de Michelangelo Antonioni (1960)

Partir, fuir, quitter, abandonner une place, une identité, pour s’évanouir ou reconstruire quelque chose ailleurs. Miracle du déplacement dans l’espace ou l’imaginaire pour s’oublier, se transformer. Je suis tombée un peu par hasard sur l’essai de David Le Breton, Disparaître de soi, lecture étonnante et stimulante !

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Petite histoire d’un retournement

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Pierre Bayard, Minuit, 2007

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W. Allen et R. Schneider dans Quoi de neuf Pussy cat ? (Clive Donner, 1965)

J’ai lu ce livre à reculons. J’en pressentais le discours universitaire froid, provocateur, une forme de dandysme. Je ne voyais pas vraiment l’intérêt d’écrire sur le sujet. De son titre, je percevais la suprématie d’une parole-imposture sur l’expérience profonde, singulière, intime de la lecture. J’avais jusque-là résisté à Marc qui me parlait régulièrement de ce livre. Je n’aime pas sentir une trop forte prescription même si je suis tout à fait capable de la faire subir à d’autres.

Encore…

Derniers feux du fleuve-Barthes

La préparation du roman, Roland Barthes, cours au Collège de France (1978-1980), Le Seuil, 2015

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Je n’ai compris que récemment ce qui me plaisait tant chez Roland Barthes. Il expose avec une belle clarté (sans peur des mots rares, et la sémiologie en compte quelques-uns) et s’expose d’un même jet. Il énonce une pensée érudite, argumentée, fine et n’oublie pas qu’il est le sujet de son énonciation, un être sensible qui s’explore aussi en parlant. Je l’ai compris avec La préparation du roman, retranscription des cours qu’il donna au Collège de France entre 1978 et 1980, année de sa mort. Regret de ne pas avoir été dans l’amphithéâtre.

Encore…