F comme forêt

Un dedans du dehors

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Existe-t-il un endroit de la littérature aussi prisé des différents genres (conte, récit d’aventure, fantastique, polar…), aussi chargé de tout et son contraire (bien et mal, peur et enchantement, quête et impasse, initiation et mort…), autant traversé par l’épopée (forêt de L’Éneide, Brocéliande des chevaliers de la Table ronde, forêt obscure puis antique de La Divine Comédie ou interdite du cycle Harry Potter…) ? Nouveau défi de ce A à Z, partir du F pour déployer et pénétrer la forêt. Alors, chasse non gardée, braconnage autorisé dans F comme FORÊT.

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La littérature transite par l’estomac

Qui a peur de l’imitation ? Maxime Decout, Minuit, 2017

« Sans titre », Andy Warhol et Jean-Marie Basquiat, acrylique et huile, 1985.

Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait de mouton assimilé. C’est Paul Valéry qui parle, cité par Maxime Decout au début de Qui a peur de l’imitation ? L’essai parait dans la collection Paradoxe (Minuit) accueillant une grande partie de l’œuvre de Pierre Bayard. L’idée de la collection est de soulever une bizarrerie chahutant la littérature pour en déployer toute la fécondité. Les écrivains revendiquent (et les lecteurs, généralement, les attendent à ce tournant-là) une originalité de création. Par ailleurs, chaque écrivain a ses modèles, son panthéon, à la fois indispensable nourriture et profonde angoisse (vais-je arriver à faire différemment, voire, rêvons un peu, mieux ?). Maxime Decout a décidé d’en découdre avec l’imitation, puissant lieu de réflexion sur l’influence, la dette, le rejet, l’originalité, le style et l’identité. Plongée dans l’art du pastiche, de l’allusion, la parodie, la satire et autres formes d’inspirations inspirantes.

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E comme expérimental

No limit

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Déjà assez libre avec cette consigne d’écriture que je me donne (associer à une lettre un mot, puis fabriquer à partir de lui, une chronique littéraire dans l’air du temps mais pas que), j’en rajoute avec le choix d’un mot qui invite à la sortie de route, au mélange des genres, à la déconstruction, l’exploration de ce qui n’a pas pignon-sur-rue. La littérature expérimentale, c’est quoi au juste ? La littérature n’est-elle pas, par nature, expérimentale ? Voyons voir avec ce E comme EXPÉRIMENTAL.

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Alors, on fait comment avec les animaux ?

Abattoirs de Chicago, Le monde humain, Jacques Damade, collection L’Ombre animale, La Bibliothèque, 2016

Les gens, ils ont oublié que pour manger de la viande, il fallait tuer un animal. Le directeur d’un abattoir, filmé pour un reportage d’Envoyé spécial diffusé le 16 février 2017, s’agace. C’est vrai, tout a été fait pour qu’on oublie ce point de départ. En anglais, il y a des mots différents pour dire l’animal vivant dans le pré ou la bauge (a calf, a sheep, a pig) et le mort dans l’assiette (veal, mutton, pork). En français et en anglais, on dira vache (cow) pour le mammifère ruminant et bœuf (beef) pour le tartare ou la pièce que l’on demandera saignante ou à point. Citadins pour la plupart, nous ne voyons bien souvent de l’animal que le domestique ou, par le biais d’une échappée campagnarde, les vaches tachetées ou les moutons à laine grasse et aux drôles de pupilles. Jacques Damade situe le point d’origine de notre rapport clivé avec l’animal à Chicago, au début du XIXe siècle. 

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D comme disparition

La littérature a horreur du vide

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Georges Perec a écrit plus de 300 pages sans utiliser la lettre E. La disparition (1969) fut une audacieuse expérience littéraire, il y assouvissait, jusqu’à plus soif, un instinct aussi constant qu’infantin (ou qu’infantil) : son goût, son amour, sa passion pour l’accumulation, pour la saturation, pour l’imitation, pour la citation, pour la traduction, pour l’automatisation. De la privation, G. Perec fabrique du trop-plein. Soustrayant, il multiplie. Dans un polar aussi, la disparition d’une personne, d’un objet crée du plein, une enquête, une narration, un livre. Disparition et création, deux faces d’une même monnaie ? Examen de l’hypothèse dans D comme DISPARITION.

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Et si j’écrivais un roman américain ?

La disparition de Jim Sullivan, Tanguy Viel, Minuit, 2013

Portrait du chanteur Jim Sullivan (1940 – 1975) dormant avec son chien

Publié depuis 1998 aux Éditions de Minuit (maison dont la production littéraire est particulièrement homogène et d’une certaine façon, française, je sais que c’est un peu raccourci, mais j’y reviendrai au besoin dans un commentaire), Tanguy Viel annonce d’emblée qu’il a envie d’écrire un roman américain. Le professeur de littérature comparée à l’université de Paris-Sorbonne qui sommeille en vous, se demande peut-être ce que cela peut bien vouloir dire écrire un roman américain quand on est français. Enquête.

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Bovary à Empant-sur-Nive

La condition pavillonnaire, Sophie Divry, Éditions Noir sur blanc, 2014

Chose annoncée, chose faite, j’ai lu La condition pavillonnaire, roman de Sophie Divry. Le titre sonne comme un essai. Je pense à La condition pénitentiaire, écrit par deux philosophes, Toni Ferry et Dragan Brkic (2013), sur les traitements corporels de la délinquance. Dans le roman aussi, il est question d’enfermement.  Celui de M.A. dans sa condition de femme. Durant plusieurs pages, j’ai pensé à La femme gelée d’Annie Ernaux. J’avais même l’impression gênante que le texte d’A. Ernaux faisait de l’ombre à celui de S. Divry, qu’il le dominait. Et puis La condition pavillonnaire a pris le large, créant son propre sillon… et elle a rejoint l’île.

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Épopée au pays d’Épépé

Épépé, Ferenc Karinthy, traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy, présenté par Emmanuel Carrère, Zulma, 2013

Budaï est hongrois, chercheur en linguistique, et se rend en Finlande pour participer à un congrès. Bizarrement, l’avion l’emmène dans un autre pays dont il ne connait pas la langue et auquel il ne comprend pas grand-chose. Sa culture (expert en étymologie, il maîtrise plusieurs langues et systèmes d’écriture), sa capacité à analyser, déduire, discourir, raisonner ne servent à rien dans ce pays étrange et profondément étranger. Dystopie loufoque, Épépé est un voyage cauchemardesque durant lequel j’ai passé mon temps à émettre des hypothèses. Mémoire d’une lecture en action.

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C comme cliché

Paria de la littérature ?

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe et il est si agréable et si naturel à l’Homme de se nourrir du jardin qu’il n’a ni bêché, ni semé, ni planté. Pour Rémy de Gourmont, auteur prolifique du XIXe siècle, le cliché est ce fruit, tentant et défendu en littérature. Il y consacre un chapitre de son Esthétique de la langue française (1899). Au-delà du cliché du cliché-paria-de-la-littérature, il y a dans cette forme quelque chose d’incertain, de sournois, de relatif et même d’explosif. Lumière sur une bête réputée noire (ex-æquo avec la-page-blanche) de l’écrivain : C comme CLICHÉ.

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B comme blog

Intérieur / extérieur

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Voici le B que Barthes, Bovary, Borges, buvard ou brouillon n’auront pas, en tout cas si la formule lancée voici dix jours ne change pas (une lettre, un mot, une chronique). Me voilà donc à la tête de B comme BLOG pour dire tout ce que j’ai sur le cœur. Il y a presqu’un an, je suis sur un bateau reliant Ischia à Naples. Je viens de lire Sukkwan island, un roman qui m’a secouée. Alors, je prends un petit carnet que-j’ai-toujours-dans-mon-sac et j’écris des lignes et des lignes sur ce roman. Je sens que quelque chose se passe, que ce n’est pas un hasard si toutes ces phrases viennent aussi facilement. Sans que je le sache encore, la première chronique est née. Le nom du blog vient après, sans rapport avec son île ou son livre de naissance (que je crois). L’expression que j’ampute très vite de son trop triste déserte et que je transforme en affirmation enthousiaste, sort spontanément d’une conversation exaltée sur le projet. Enfin, je lance la petite affaire îlienne sur le vaste océan d’Internet.  Et maintenant, de temps en temps, on me demande Et le blog ? comme on dirait Et les enfants ? ou Et le travail ? Alors pour cette cinquantième chronique, B comme BLOG.

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par Isabelle Louviot