Archives par mot-clé : écriture

Et si j’écrivais un roman américain ?

La disparition de Jim Sullivan, Tanguy Viel, Minuit, 2013

Portrait du chanteur Jim Sullivan (1940 – 1975) dormant avec son chien

Publié depuis 1998 aux Éditions de Minuit (maison dont la production littéraire est particulièrement homogène et d’une certaine façon, française, je sais que c’est un peu raccourci, mais j’y reviendrai au besoin dans un commentaire), Tanguy Viel annonce d’emblée qu’il a envie d’écrire un roman américain. Le professeur de littérature comparée à l’université de Paris-Sorbonne qui sommeille en vous, se demande peut-être ce que cela peut bien vouloir dire écrire un roman américain quand on est français. Enquête.

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C comme cliché

Paria de la littérature ?

Alphabet fantaisie, XVIe siècle

Il faut une grande force de réaction personnelle, une grande énergie cellulaire pour résister à la douce facilité d’ouvrir la main sous le fruit qui tombe et il est si agréable et si naturel à l’Homme de se nourrir du jardin qu’il n’a ni bêché, ni semé, ni planté. Pour Rémy de Gourmont, auteur prolifique du XIXe siècle, le cliché est ce fruit, tentant et défendu en littérature. Il y consacre un chapitre de son Esthétique de la langue française (1899). Au-delà du cliché du cliché-paria-de-la-littérature, il y a dans cette forme quelque chose d’incertain, de sournois, de relatif et même d’explosif. Lumière sur une bête réputée noire (ex-æquo avec la-page-blanche) de l’écrivain : C comme CLICHÉ.

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Roman, genre immortel ?

Rouvrir le roman, Sophie Divry, Editions Noir sur Blanc, 2017

Je découvre Sophie Divry. Pas encore 40 ans, auteure de quatre romans dont deux très remarqués, annonce la quatrième de couverture, mais à côté desquels je suis passée, elle publie un essai généreux, nourri et enthousiaste sur le genre roman. Pas si fréquent qu’une jeune romancière ni normalienne, ni universitaire, ni monstrueusement connue, s’avance sur ce territoire du penser-la-littérature. Qu’explore cette aventureuse aventurière ?

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A comme alphabet

À tout seigneur tout honneur

Aphabet fantaisie, XVIe siècle

Les sujets du concours d’entrée à la Femis (l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) viennent de tomber. Cette année, les trois mots pour l’épreuve du dossier personnel d’enquête sont, au choix, promesse, rideau, sourire. Des travaux de quelle commission, peut-être passionnée, sortent ces sujets ? De quoi sont faits les débats ? L’idée de partir d’un seul mot pour créer me fascine. Preuve que les mots se tiennent entre eux, que chacun est capable d’en tirer d’autres, porteurs d’idées, d’émotions, de références culturelles. Sorte de démultiplication des pains, de bombe à fragmentation, d’éclosion du multiple. Un devient plein. Cela m’a donné une idée de nouvelle chronique pour ce blog, que je pense mener de A à Z, en commençant par… le début. Alors, à tout seigneur tout honneur : A comme ALPHABET. 

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Le tigre n’est pas mort 2

Mallarmé et moi, Raphaël Meltz, Editions du Panama, 2006

Un 2, ce n’est pas habituel ici, c’est même la première fois. Cela n’annonce pas cependant toute une saison sur la non-mort du Tigre. Urbs m’ayant ouvert l’appétit, j’ai eu envie de lire d’autres écrits de ce drôle de Raphaël Meltz. Son premier roman, Mallarmé et moi est paru dans une maison qui a disparu depuis. A sa lecture, il s’est passé quelque chose d’assez habituel quand je ne suis pas une œuvre dans son ordre d’écriture. J’ai été déçue de voir que ce que j’avais découvert (et aimé), était déjà là, avant. Un peu comme si j’avais été trompée. Je m’explique. Continuer la lecture de Le tigre n’est pas mort 2

Le tigre n’est pas mort

Urbs, Raphaël Meltz, Le Tripode, 2013

Honnête. Si je n’avais qu’un mot pour parler de ce roman, c’est ce que je dirais. Je rassure immédiatement ceux qui aiment les chroniques variant entre 800 et 900 mots et je déçois les adeptes du très court : la longueur de celle-ci devrait être équivalente aux précédentes. Déjà, je me sens contaminée (mais j’ai de solides prédispositions en la matière) par un des procédés d’écriture d’Urbs, la digression. Vite, ajoutons quelque chose d’accrocheur pour ne pas perdre si tôt notre sympathique lecteur, abonné ou pas (je suis très ouverte), lancé dans cette 43ème chronique (déjà ? s’étonnent les rêveurs). C’est un roman drôle, loufoque, profond, érudit, picaresque et singulier (je fais gaffe quand même, je crois que je frise le cliché). Continuer la lecture de Le tigre n’est pas mort

Michon, magnifique abruti du Caucase

Le roi vient quand il veut – Propos sur la littérature, Pierre Michon, Albin Michel, 2016

michonCertains livres effectuent un trajet incertain avant de m’arriver. J’entends un titre, le note dans un carnet, sur mon téléphone. Il revient à nouveau, je vois une couverture sur une table ou dans un rayon de librairie, quelqu’un m’en parle, un proche, une voix à la radio ou dans un autre livre. Des petites touches. Pas de véritable volonté encore, de me laisser approcher par ce livre, cet auteur. Une mise à distance nécessaire, le temps d’une attente. Comme le dit R. Barthes (Fragments d’un discours amoureux) à propos de l’être aimé ou à aimer. Il y a une scénographie de l’attente : je l’organise, je la manipule … l’attente est un enchantement : j’ai reçu l’ordre de ne pas bouger. Jusqu’au jour où ça y est, c’est le moment, je vais entrer dans le livre. Continuer la lecture de Michon, magnifique abruti du Caucase

Une vie à géométrie variable

Le triangle d’hiver, Julia Deck, Minuit, 2014

Arielle Dombasle dans le rôle de Bérénice Beaurivage
Arielle Dombasle dans le rôle de Bérénice Beaurivage

Rêver ou vivre sa vie ? Les deux s’opposent-ils vraiment ? Mademoiselle, jeune femme au chômage, personnage principal du deuxième roman de Julia Deck, Le triangle d’hiver, rêve qu’elle est Bérénice Beaurivage. C’est le nom d’une romancière qui n’écrit jamais dans le film d’Éric Rohmer, L’arbre, le maire et la médiathèque (1992). Physiquement, Mademoiselle a quelque chose d’Arielle Dombasle qui joua le rôle et romancière, ça paraît moins ennuyeux que de nombreux métiers suggérés par l’agence pour l’emploi. Continuer la lecture de Une vie à géométrie variable

Delphine de Vigan, démiurge d’elle-même

D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, Lattès, 2015

E. Hopper, Chop-suey, 1929, Collection of Barney A. Ebsworth
E. Hopper, Chop-suey, 1929, Collection of Barney A. Ebsworth

J’ai lu ce livre comme on mange trop vite, sans prendre le temps de respirer, de savourer. Il me semble qu’il appelle ce type de lecture. Quelque chose de frénétique, d’excitant. C’est après cette lecture éclair que j’ai eu envie de faire ma première chronique littéraire*. A l’intensité de ma lecture répondait l’intensité d’une envie d’écrire. Le sujet n’y était sans doute pas pour rien. Avec D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, nous fait entrer dans sa cuisine d’auteur, son intérieur, celui d’un écrivain qui peine à écrire. Le roman met en scène la rencontre de deux femmes. Delphine et L. s’aiment, se détestent, se cherchent, se fuient, s’engueulent, s’intéressent profondément l’une à l’autre.

Encore…

Ti-Zibié, ton stylo te fera mourir couillon !

Solibo Magnifique, Patrick Chamoiseau, Gallimard, 1988

P. Gauguin, Palmiers de Martinique, 1887
P. Gauguin, Palmiers de Martinique, 1887

Quand j’ai lu pour la première fois Patrick Chamoiseau (Texaco, Gallimard, 1992), j’ai eu l’impression simultanée de découvrir et de comprendre une nouvelle langue. Pas seulement une nouvelle langue d’écriture, non, une nouvelle langue pour communiquer. Une langue étrangère, comme on dit pour faire la distinction avec sa langue maternelle. Je la comprenais par la lecture. Continuer la lecture de Ti-Zibié, ton stylo te fera mourir couillon !